Procès du 2 juillet 2020 pour l’expulsion de la Borie.

 

Une alarme retentit et toutes les toges se lèvent. On se regarde comme des enfants rebelles. Notre avocat Nicolas Gallon nous explique : « la justice est rendue au nom du peuple français, ce n’est donc pas pour honorer les juges que l’on se lève, mais pour rendre hommage au peuple. » Ca nous fait une belle jambe..

On pense à ce qu’il se passe dehors, sur les marches du tribunal, là où on a laissé une nuée de copaines – magnifiquement vêtu.es de leur plus belles parures –  ne pouvant accéder à la salle d’audience à cause de l’état d’urgence securito-sanitaire. Ielles sont affalées sur les marches ou se trémoussent légèrement sur un fond de techno. Ça fait quand même plaisir !

10H pétantes : Ah, c’est enfin à nous ! Les copaines se déplacent vers la fenêtre de derrière depuis laquelle on peut les voir grimper sur la grille pour y accrocher des pancartes. C’est très drôle ce paysage de fond qui surgit derrière la juge habillée de tout son sérieux.

Ça y est, les deux avocats sont face aux juges devant un pupitre et c’est d’abord à celui de la mairie.

Partie 1 : l’accusateur

Il commence par une intro en nous décrivant comme des squatteurs SANS DROIT NI TITRE et qui d’ailleurs n’en revendiquent aucun. Le lieu serait « une ZAD qui n’a plus rien à défendre ». Pour preuve de l’illégalité assumée du mode de vie on peut même trouver une pancarte à côté du portail disant : « pas d’huissier, pas de flics, pas de proprios. » [ton outré]

Nous serions des excité.e.s qui ne font qu’organiser des évènements illégaux comme par exemple de nombreux « appels à la résistance, appels à soutien, appel au camping … »

Il parle fort et clairement, c’est le grand méchant loup. Il s’agite devant son pupitre, trépigne, bouge les mains, fait quelques mouvements de côté.

D’un seul coup, on entend les cris des copaines dehors, des « hiiiiiiiiiiiii » de présence. Ça pause une nouvelle ambiance.

Tu parles de nous, oui, mais nous, on est là.

L’avocat vacille, lève les yeux et se rend compte de la présence des personnes dehors.

« Voici exactement un exemple du genre de chose qu’ils font », [ton dédaigneux], dit-il en pensant que notre rassemblement de queer à paillettes étaye sa théorie des dangereux zadistes.

Il continue en rappelant l’histoire juridique de la Borie de son point de vue. C’est un peu ennuyeux : le déroulement des faits du premier procès, les occupants de leur chef et tout le tsointsoin avec Patrick et Delphine.

On se réveille lorsqu’il commence à sortir un gros bluff en plein milieu de tout ça.

« La mairie a fait de nombreuses propositions aux squatteurs pour régulariser leur situation, mais ils n’ont jamais voulu y prêter attention par manque de sérieux. A chaque réunions étaient présentes des personnes différentes, aucun suivi n’était donc possible… »

Un message envoyé aux copaines : « Il ment, des cris ! ».                                 Des huées « ouuuuuuh » se font entendre.

Il continue de nous dépeindre tels de dangereux occupants en précisant que nous vivons dans des « yourtes, caravanes et tentes » [ton de mépris sur ce dernier mot]

Et là, il se permet une envolée dramatique : « Suite au rendu de l’appel du premier procès, les squatteurs lancent immédiatement un appel à la résistance, commencent à construire des barrages et se procurent même des scies sauteuses ainsi que des talky-walky. »

Des scies sauteuses !!!!!!!!! Sait-il au moins ce que c’est qu’une scie sauteuse ??? peut-être confond il avec une tronçonneuse? (Et quant bien même ?) Et les barrages – quel comble – avec des barricades ?

Il continue sur le même style : « Ensuite, les occupants lancent des appels au camping ! [ton choqué] En plus de beaucoup d’autres évènements : festivals, concerts, qu’ils organisent de manière totalement sauvages »

Est ce vraiment un terme juridique ou est ce qu’il n’a pas trouvé mieux comme adjectif dans sa tentative de nous discréditer sans arguments de fond ?

Il continue sur le chapitre « les pauvres voisins persécutés » et parle des menaces qu’on leur aurait faites, de l’impossibilité de faire venir leurs petits enfants à cause du danger que nous représentons. Au passage, merci à ell.eux, nos cher.es voisin.es qui ont bien participé, avec leurs mensonges pour sauver leur peaux pour leur propre procès, à notre stigmatisation.

Après cette tirade explosive, il continue de décrire la procédure : « beaucoup de gens passent à la Borie et il est presque impossible pour la marie de les identifier clairement, c’est pourquoi elle s’est vu dans l’obligation, à l’automne dernier, de lancer une procédure non contradictoire…  ».

« C’est faux !» Ca sort tout seul d’une de nos bouches.

Mais quand même, entendre un mec qui n’était pas là, dire l’inverse de quelque chose qu’on a vécu, c’est pas possible! On était allé en urgence jusqu’à Alès le jour même du passage de l’huissier pour être sûre qu’ils aient bien nos identités et ainsi éviter une procédure contradictoire.

« Silence », recale la juge.

On distingue la silhouette de deux copaines derrière la fenêtre qui se mettent à danser en montrant des pancartes : « mensonge ». Puis, « résistence ». L’ambiance devient complètement loufoque.

Ça nous fait rire et décompresser un peu.

L’avocat quant à lui, légèrement déboussolé par cette présence, continue en contrant à l’avance les arguments de notre avocat (qu’il a lu dans notre dossier).

« La partie adverse tentera d’invoquer un changement de juridiction, cependant, le juge des contentieux et de la protection ne s’occupe que des biens immobiliers pour lesquels il y a un bail. Il est donc inutile de lui demander de gérer cette affaire.

– de plus, on invoquera en face qu’il n’y a pas d’urgence à l’expulsion, on demandera 2 ans de délais ! [ton outré]. Cependant, il y a un projet, celui d’une dame, madame Austin, à laquelle on n’a même pas laissé une chance de s’installer. Ce qui prouve que ce lieu n’est pas si « ouvert et libre » que le prétendent ses habitants. »

Les deux copaines font des chorégraphies super élaborées avec les pancartes.

Enfin, il continue en boucle sur le fait qu’on est agressifs et malveillants.

On décroche un peu car il redit les mêmes choses, c’est pas intéressant, on a déjà bien compris son propos.

Il finit sur une fausse apothéose prophétique en utilisant des phrases du genre :

– le tribunal ne pourra que se déclarer compétant.

– le tribunal demandera nécessairement l’expulsion imminente des occupants…

On dirait presque qu’il essaye de jeter des sorts.

Bref…ça a duré 20minutes et maintenant :

C’est le tour de Gallon, notre avocat.

 

Partie 2 : le défenseur

Il explique :

« si l’on en croit les descriptions de mon adversaire, nous serions en zone de guerre. Or, ce n’est pas du tout ce qui se passe. Nous avons ici affaire à des gens qui sont pour la majorité jeunes ; entre 18 et 35 ans ; et qui n’ont aucune intention belliqueuse. Une trentaine y vivent là avec 7 enfants, tranquillement depuis plusieurs années. La Borie a d’abord été un lieu de lutte politique contre un barrage dans les années 80 et elle a depuis toujours été habitée. Il s’agit donc d’un lieu d’habitations depuis plus de 30 ans. Il y prend place également des activités culturelles, des débats et des rencontres. C’est un endroit d’échanges…

Il continue de nous dépeindre de manière extrêmement positive en prenant le groupe de gentes dehors pour exemple : « Voila le type de personnes que c’est. »[ton sympathique et bienveillant]

« Il n’y a eu aucune violences perpétrées ».

Il détruit presque chaque argument apporté par l’avocat adverse.

« Mon contradicteur invoque le fait qu’il s’agit d’un « domaine », et que donc nous ne pourrions donc pas faire appel au juge des contentieux et de la protection. Est ce une blague ? [ton sarcastique]. En droit, je ne connais pas de « domaine ». Je connais des « parcelles », des « locaux », des « immeubles ». Et la Borie en compte deux. D’ailleurs, dans ses conclusions, la mairie le dit elle-même : demande l’expulsion des parcelles xxx ainsi que des maisons. Au pluriel !

« Depuis plus de 20ans, la mairie tolère l’habitation de ce lieu car elle ne pose pas de problème. Il est alors étonnant d’évoquer tout à coup l’urgence. Ce lieu créé du lien dans la région.

Il s’agit également d’un refuge pour des personnes qui ne parviennent pas à s’intégrer dans la société. Au delà des institutions, il offre un lieu où l’on peut aller de manière libre et gratuite. D’ailleurs, la réputation de la Borie n’est plus à faire, plusieurs professionnels (voir pièces jointes) expliquent en quoi elle a pu aider et soutenir de nombreuses personnes. Le nombre de témoignage est impressionnant. Nous nous sommes contenté de 40 mais il y aurait pu en avoir 200. La diversité des personnes touchées par ce lieu est aussi digne d’intérêt : de tous les âges et de toutes les catégories sociales.

De plus, il s’agit également d’un lieu de refuge et d’accueil pour des personnes que je me permettrais de qualifier, comme elles s’auto-définissent, de lbgtq+.

Et c’est également un refuge pour des personnes ; et je le dis parce que c’est vraiment le cas ; qui se trouvent en situation de précarité.

Quand vous prendrez votre décision, c’est à toutes ces personnes là qu’il faudra penser.

À propos de notre voisine Dannielle Austin :

« Cette histoire est cousu du fil blanc !

La mairie invoque l’urgence en expliquant sois disant que madame Austin ne pourra pas mener à bien ses activités tant que les occupantes sont sur place, sachant qu’elle occupe une maison séparée du reste des terrains, nous nions totalement cette déclaration.

J’ai l’habitude de traiter ce genre de dossiers, et ce n’est pas la première fois que je vois un grand propriétaire mettre en place un projet pantin pour faire croire à une urgence. Non, ce qui est le plus choquant dans cette histoire, est que madame Austin ait obtenu un bail d’occupation précaire alors même que la procédure d’expulsion était toujours en cours et que le lieu était déjà occupé. Il était alors évident qu’elle ne pourrait pas y développer ses activités.

Elle a sans aucun doute été utilisée par la mairie pour justifier l’expulsion, à l’inverse de ce qui est prétendu. J’ai d’ailleurs eu vent du fait que cette pauvre dame n’était pas en bons termes avec la mairie et sentait qu’elle avait été utilisée. »

Puis vient le dernier point administratif important : « Au sujet de la compétence du juge des contentieux et de la protection, la loi dit qu’il s’occupe des affaires de logements immobiliers dans lesquels il n’y a ni droit ni titre. C’est écrit noir sur blanc ! » Il relit le texte de loi encore une fois.

« D’ailleurs, s’il existe un juge des contentieux et de la « protection », c’est bien parce que au niveau du logement, le législateur a voulu mettre en avant le besoin de protection de personnes vulnérables ou fragiles. Il faut donc respecter sa volonté. »

En fait, on ne sait pas d’où l’autre avait sortit son histoire de : « le juge des contentieux et de la protection s’occupe seulement des logement avec un bail ». Il n’avait cité aucun texte.

A la fin la juge clôt l’audience en disant « Réponse le 14 aout après délibération du jury »

Nous sortons sous la mousse et les applaudissements. Des nouvelles gentes sont arrivées depuis tout à l’heure, toute la monde est magnifique. Il manque juste les crêpes faites la veille qu’on a oublié à la maison.